Situé à 20 km de Colombes, en lisière de la forêt de Marly, un jardin mystérieurx et fascinant, le Désert de Retz, créé au XVIIIe par un illusionniste de génie, n'a plus de secret depuis samedi dernier pour 15 adhérents de l'Association du Centre Nature !
Notre guide, conseiller municipal de Chambourcy, devant les ruines fabriquées de la colonne détruite, surprenante demeure de François Racine de Monville, de 15m de diamètre.
Cette colonne dite détruite parce qu'elle est interrompue, mais tout à fait à dessein, par un contour ruiniforme, agrémenté de fissures qui plongent bas vers des fenêtres ovales.
Devant les colonnes baguées sur lesquelles reposait le fronton du Temple du Repos.
Mais où est passée la Maison Chinoise qui traduisait l'admiration vouée à l'empire du Milieu, symbole d'exotsime et d'étrangeté ?
Pas de panique ! Le Temple au Dieu Pan est la première fabrique construite.
Il pleut, il mouille, c'est la fête à la grenouille !
Le mur de scène du Théâtre découvert
La Tente Tartare, à la couverture en tôle peinte, évoque des contrées lointaines et inexplorées ...
La Pyramide servait de glacière.
Les ruines de la Laiterie
On n'est pas trop mal sous les parapluies !
Les ruines de la Chapelle Gothique (XIIIème siècle) illustre l'échec estimé de l'Eglise catholique dépassée par la modernité de la pensée du Siècle des Lumières.
Des adhérents dans le parc.
Un potager et un verger de de 3000 m2
Il pleut toujours !
Le tilleul marcottant
L’écrivain Julien Cendres déborde d’émotion. En septembre 2009, au pied levé, Frédéric Mitterrand, s’est rendu au Désert de Retz, pour saluer la restauration du bois qui l’enserre, en bordure de la forêt de Marly. Pour l’écrivain, c’est une consécration. Parce qu’il s’y promenait enfant, il a fait de sa résurrection un long combat personnel. Il n’y habite pas, mais le Désert l’habite. Quand il ne se trouve pas dans les collines du Perche à écrire, Julien Cendres fait un saut au Désert, où il se sent chez lui, dans ce rêve de pierres d’un autre temps.
Ce parc a toujours été un mythe pour les amoureux du patrimoine. Peu ont eu la chance de le voir. Les plus insolents parmi nous, dédaignant les panneaux prohibitifs posés par des propriétaires renfrognés, se sont affronté aux ronces et aux orties, quand ils n’étaient pas coursés par les vaches. Un temps, des chiens menaçants se montraient plus efficaces.
François Mitterrand a fait l’école buissonnière de manière plus originale. Survolant le Désert de Retz par hasard en hélicoptère avec Jack Lang, il s’y est posé à l’improviste. Un peu plus tôt, lors d’un dîner, Régine Deforges lui avait parlé de la passion entretenue par Julien Cendres pour cette curiosité. Fasciné sur le champ, le Président ordonna de débloquer des fonds sur les grands travaux pour un premier sauvetage. Et offrit deux jours plus tard à Julien Cendres d’écrire une préface pour le livre qu’il préparait.
Le nouveau ministre de la Culture non plus n’avait jamais vu le domaine. Mais, il y a douze ans, à la parution de l’ouvrage, Frédéric Mitterrand avait convié l’auteur pour en parler une heure à son émission du samedi sur Europe 1. Le livre est remarquable. Julien Cendres a mis vingt ans à collecter de la documentation. Il était tellement plongé dans son sujet qu’il peinait à écrire. Pour trouver la distance nécessaire, il dut se trouver un partenaire, en la personne de Chloé Radiguet, sa nièce.
Golf ou crashs-tests
Le Désert de Retz est considéré comme le plus beau «jardin anglo-chinois» du XVIIIe siècle, réputé pour ses «fabriques» ou «folies», autrement dit ses pavillons de fantaisie, qui étaient à la mode dans toute l’Europe, jusqu’à Saint-Pétersbourg, où Catherine la Grande en édifiait dans son château. Longtemps, il est resté propriété privée en déshérence. Ceint de murs. Invisible. On voyait les sous-bois en friche, on devinait les bâtiments envahis, effondrés. Certains avaient entendu parler du passage d’une autoroute, de mutation d’une partie du domaine en terrain de golf, de non-respect des permis de construire, d’un circuit automobile de crashs-tests, de rachat pour un franc symbolique, sur fond de désintérêt des élus locaux, de subventions publiques et de restaurations inachevées.
Si, aujourd’hui, le domaine sort de ce naufrage, on le doit à l’opiniâtreté d’une association historique locale et de sympathisants comme Julien Cendres, qui n’ont jamais baissé les bras, jusqu’à recevoir l’appui décisif de l’actuel député-maire de Chambourcy, Pierre Morange. Il y a deux ans, après un long bras de fer avec les propriétaires, la commune a pu acheter le Désert de Retz pour un euro symbolique, avant d’en reprendre la réhabilitation. Cet automne, il a été rouvert à des visites ponctuelles. Les vingt hectares de bois, qui étaient devenus une vraie jungle, ont été nettoyés. La restauration en est à mi-parcours, et il faudra encore une mobilisation financière importante, mais il est déjà très émouvant de pouvoir se promener dans les frondaisons. Surtout avec Julien Cendres.
Cavalier et cavaleur
Les surréalistes et les situationnistes ont tenu conclave en ces bois magiques. Ce nom poétique est tout simple. «Retz», c’est le lieu-dit, un mot dévié de roi : la forêt de Marly, où les souverains aimaient poursuivre un gibier abondant, était par excellence chasse royale. Le «désert», c’est tout simplement un lieu de retraite. On appelle ainsi la large circonférence qui protège et alimente les monastères retirés dans l’isolement et le silence. Au XVIIIe siècle, il est devenu aussi ce que l’Encyclopédie définissait comme «un lieu propice à cultiver le rêve et la nostalgie».
Exactement ce que fabriqua, sous le règne de Louis XVI, un «illusionniste de génie», selon les mots de Julien Cendres. François Racine de Monville était de ces brillants esprits des Lumières, aux qualités sans nombre. Imbattable au jeu de paume (le tennis de l’époque), tirant à l’arc «mieux qu’un sauvage», rivalisant au pistolet avec le duc de Nassau et Louis-Philippe d’Orléans, il brillait à la cour de Versailles, proche. Danseur et cavalier, cavaleur aussi, il passa à travers la Terreur et vécut jusqu’en 1797. Architecte, il a lui-même dessiné les plans de ses temples factices, comme il l’avait fait pour ses deux hôtels particuliers à Paris.
En 1774, dès qu’il prend pied sur le terrain «à six lieues de Paris», où il finira par se retirer, le nouveau seigneur dessine 47 plans de pavillon. Il en réalisera 21. Il en subsiste 11 (certains emportés par une bretelle d’autoroute). Le premier à voir le jour est le Temple au dieu Pan. Suivent la Maison chinoise, le Temple du Repos, une serre, un obélisque (en tôle peinte), un treillage «en architecture arrangée», une pyramide. Il creuse des rivières et étangs artificiels. Sur la feuille de la commande des arbres qu’il passe aux pépinières royales, le magasinier écrit : «Cet homme est fou, il ne doute de rien.» Il plante 4 050 peupliers d’Italie, marronniers d’Inde, sorbiers des oiseaux, cornouillers à bois rouge, sumacs et sureaux du Canada.
Tuyaux porte-voix
François Racine adjoint une ancienne chapelle, qu’il laisse délibérément en ruine. Ainsi, le vrai et le faux se poursuivent-ils dans un jeu de miroirs sans fin. Sur le modèle présenté en 1782 à l’Académie des sciences par Dom Gauthey, il envisage d’installer des tuyaux métalliques portant la voix jusqu’à ses ouvriers à Saint-Nom-la-Bretèche. Il installe des réseaux hydrauliques, qui, encore aujourd’hui, conduisent l’eau du plateau vers la commune.
Sous l’Ancien Régime, le visiteur devait être impressionné dès son arrivée en calèche par une porte aujourd’hui fermée, ouvrant sur une fausse grotte, éclairée par deux torchères en plomb en forme de satyre. La Maison chinoise, qui était décorée de laques, d’objets en jade et de vases de porphyre, a été construite en teck importé d’Inde.
La bibliothèque avait été installée à l’étage. La pyramide servait de glacière. Dans celles qui existent toujours à Versailles, on pouvait conserver la glace, prise dans la paille, près de trois ans pour servir des sorbets à la cour. Un Tombeau voisinait avec une Laiterie arrangée. Rien n’échappait au concepteur de cette cosmogonie. Les vaches étaient blanches, pour s’associer à la porcelaine du service, et faire valoir le vert du pâturage.
La réalisation la plus importante est une tour de 44 pieds de diamètre, dans laquelle s’installa le maître. Les traces de l’impact de la foudre ont été gravées en zigzag sur cette fausse ruine, que peupliers et mélèzes semblent regarder d’un air un peu effrayé. Cas unique à notre connaissance de la transformation d’un de ces pavillons de fantaisie en résidence principale. Habituellement, on y recevait les amis, on lisait, on écoutait de la musique, on jouait aux cartes, on mangeait des fruits, et, bien sûr, on sacrifiait à tous les cultes dévolus aux dieux de l’amour. Livres et intérieurs ont été pillés, ou dispersés dans les ventes révolutionnaires, mobilier en acajou, statues de bronze, peintures des ruines romaines par Hubert Robert ou Van Loo.
Symbolique maçonnique
Il faut cependant, dans cette déambulation, lire plus avant. Il y avait un propos dans cette fantaisie. «La tour, si elle n’était pas "brisée", aurait atteint cent vingt mètres de haut. On est loin du jeu d’ornement», commente Julien Cendres. Elle sert de commentaire philosophique au programme du domaine. Elle est la tour de Babel, dans laquelle se croisaient toutes les cultures du monde, et que Dieu détruisit pour sa démesure. Elle est la Raison rivalisant avec l’Etre suprême.
Julien Cendres retrouve ainsi dans le parcours une leçon initiatique très ordonnée, conforme à la symbolique maçonnique. François Racine était plongé dans ce milieu, et participait à des réunions avec le duc d’Orléans, qui était le premier grand maître du Grand Orient de France, et Choderlos de Laclos, l’auteur des Liaisons dangereuses.
Le Rocher de l’entrée, figure platonicienne, organise le passage du chaos au monde de la connaissance. L’Esprit universel chemine à travers les civilisations (la colonne grecque, le temple romain, la tente nomade, la pagode chinoise.) aboutissant à la forme parfaite de la pyramide, sur le haut de la colline, abritant la pureté de la glace. En contrepoint, il n’est peut-être pas innocent que la chapelle, rebaptisée Eglise gothique, ait été abandonnée en ruine, en bas du vallon. Cette quête de l’étrange est inséparable du goût du savoir, et de l’insatiable liberté qui l’accompagne, et qu’il nous est permis de redécouvrir sous l’émerveillement des sens.
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